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Bienvenue par ici ! Chaque jour jusqu’à Noël, on écrit ensemble un conte avec un peu de poterie dedans. C’est un chantier improvisé, mais l’histoire prend forme chaque jour, grâce à vous. Vous pouvez participer tous les soirs (parfois plus tard !) en répondant à mes questions à la fin de la page et sur mes stories Instagram.

Bonne lecture !

Je précise que cette histoire est de la fiction Bien qu’inspirée par des rencontres et situations réelles, mon imagination et la vôtre nous font voyager au-delà.

Chapitre 1 – Dimanche 1er décembre 2024

Encore un marché de Noël. Myriam est potière et comme beaucoup d’artisans et artisanes, ses week-ends de fin d’année sont rythmés par les marchés. Ce dimanche, cependant, elle innove. Exit les salles des fêtes froides et impersonnelles, cette semaine elle expose dans une maison de retraite. 

L’animatrice, Virginie, a appelé Myriam il y a quelques mois pour lui proposer de participer au petit marché de Noël de sa résidence pour séniors non dépendants, Les jardins de Saint-Amand. Au téléphone, elle lui dit qu’elle l’a vue dans le journal local (la correspondante adore la poterie et lui fait régulièrement la surprise de publier des articles sur ses actualités). Pour la convaincre, Virginie annonce qu’il n’y aura pas de frais d’inscription. Virginie lui prévient aussi qu’il n’y aura sûrement que les résident.e.s et leur famille, mais que cela fait un peu venir la vie de dehors dans la maison. Elle finit de la convaincre sur ces derniers mots.

Alors le matin de ce 1er décembre, Myriam roule gaiement dans le brouillard de sa campagne qui se réveille. Elle n’a que 5 kilomètres à parcourir. À son arrivée, elle gare sa voiture familiale chargée de céramiques devant la résidence. Son chariot bleu chargé à bloc, elle traverse le hall. C’est un sas meublé d’un guéridon, sur lequel un petit sapin de Noël synthétique et un flacon de gel hydroalcoolique sont posés, comme un avertissement festif mais pas trop quand même. Et là, une haie d’honneur de mamies et papis l’accueille, assis en rang d’oignons dans le couloir qui mène à l’ascenseur. La jeune potière les salue et s’attend presque à les voir entamer une ola en passant devant la petite troupe. Elle continue sa route, mais elle se fait interpeller :

– Hé, vous allez où, chargée comme ça? demande le seul homme de la rangée

– Bonjour Monsieur l’agent, je suis Myriam, je monte au 2ème étage, j’expose mes poteries au marché de Noël, lui répond-elle avec un sourire complice.

– Ah alors, vous vous trompez ma petite dame, l’ascenseur est derrière vous !

– Ah mais oui, zut ! dit-elle en entamant un demi-tour serré avec son chariot.

– C’est mon charme qui vous a déstabilisée, je vous comprends ! lui rétorque-t-il avec malice.

Pas mal comme introduction à l’ambiance de la maison, se dit-elle, on va bien rigoler. Elle entre chez eux, et ils la mettent à l’aise, c’est bon signe.

L’ascenseur s’ouvre directement sur l’entrée de la salle d’animation où plusieurs autres exposants sont déjà en train de s’installer. C’est une grande salle lumineuse, avec un mur complètement vitré, qui offre une vue imprenable sur les Monts d’Or. A chaque extrémité, des couloirs qui mènent aux chambres. Myriam salue tout le monde, et Virginie, l’animatrice, l’accueille avec le sourire. Cheveux courts et bouclés, bottes en cuir et jupe courte, elle apparaît de suite comme quelqu’un de dynamique et joviale.

– Bienvenue Myriam, je vous ai reconnue ! lui lance Virginie depuis le fond de la salle. Je me souviens bien de la photo de l’article. Allez on se tutoie ? on a le même âge. 

Virginie montre son emplacement à Myriam, et c’est parti pour l’installation. Elle a une heure avant l’ouverture du marché. Mais bien entendu, quelques pensionnaires curieux.ses sont déjà dans la salle pour suivre le remue-ménage. Myriam gare mon chariot devant la table que Virginie a préparée, et elle commence à déballer ses caisses. Mes derniers marchés ont été plutôt calmes, donc cette fois-ci, l’entrepreneure avertie a prévu le coup : en plus de sa nouvelle collection Ronde, elle installe une table de démonstration, où elle prévoit de travailler sur des photophores et des oyas, pour animer un peu le stand. Cela lui permettra accessoirement d’avancer sur son travail dans les moments les plus creux de la journée.

La sono derrière elle enchaîne désormais les succès d’autrefois : du Trenet, Aznavour et bien d’autres qu’elle ne reconnais pas. Elle se demande ce que la sono de sa maison de retraite à elle, dans (espérons) quarante ans, passera.

Il est l’heure ! Les premier.e.s résident.e.s viennent repérer les stands avant d’aller manger et certain.e.s se font déjà plaisir. Plusieurs disent néanmoins regretter que « chez eux », c’est bien trop petit maintenant et qu’il leur est difficile d’ajouter mes jolies créations sur leur seul bureau, entre la télévision et les médicaments. “Mais bien sûr, où avais-je la tête, se dit Myriam, avec ma vaisselle réconfortante et mes pichets, sans penser que leurs chambres n’ont peut-être pas de quoi se faire un thé et encore moins s’encombrer de vaisselle ! Elle est belle, l’inclusivité !” Soit, elle prend cela comme un petit rappel qu’être inclusive, cela s’apprend tous les jours et que cela se pratique au contact des gens à inclure, pas dans les beaux discours ! Heureusement, Myriam a apporté ses nouvelles décorations de Noël en porcelaine qui ornent le petit sapin qu’elle a posé sur mon stand. Le doute s’invite de nouveau dans ses pensées : “Comment, vous n’avez pas non plus la place pour un sapin dans la chambre, et pas le goût de la fête non plus, vous pensez à vos proches disparus ou éloignés… D’où cette animation peut-être ?!”

Après le déjeuner, pendant lequel les résident.e.s ont déserté la salle d’animation pour s’attabler au rez-de-chaussée, c’est au tour des familles de défiler dans la salle d’animation. Les nouvelles décorations de sapin en porcelaine, que Myriam expose pour la première fois, rencontrent un succès mérité et elle vend ENFIN ses premières tasses dodues. Elle entend beaucoup de compliments qui l’encouragent et font un peu taire les doutes qu’elle a sur ses décors pas si consensuels après les premiers marchés à chaque collection. 

En effet, Myriam cultive les imperfections. Elle aime créer des collections de céramiques qui racontent une histoire, qui la relie avec les personnes qui les achèteront. Cette dernière collection en faïence parle de rondeurs, d’imperfections qu’on accepte car elles sont réconfortantes et parce que les accepter mène vers le bien-être. Donc il y a des coulures, des sur-épaisseurs, du mouvement dans cet émail bleu profond qui recouvre les pièces de la collection.  

Entre deux discussions avec des visiteurs et visiteuses, Myriam s’installe à sa table de démonstration, et perfore des photophores qu’elle a tournés la veille à l’atelier. 

Au milieu de des familles qui déambulent entre les stands des créateurs et créatrices, Myriam remarque une dame seule, qui se déplace aidée d’un déambulateur immatriculé ODE-245-LYON. Myriam n’en revient pas, les déambulateurs ont des plaques d’immatriculation ?! Elle l’imagine un moment se faire flasher en défaut de vitesse, charentaises non réglementaires et refus de priorité dans les couloirs.

Lorsqu’elle arrive à la hauteur du stand de poterie, les yeux d’Odette et tout son visage s’illuminent en voyant les pièces en céramique. Elle s’exclame « Ooooh que c’est beau, toutes ces poteries ! »

– Merci Madame, ça me fait plaisir ! lui répond Myriam.

Odette est une petite dame replète, qui arbore un carré enfantin (un peu comme la petite fille des Triplés, vous voyez ?) mais grisonnant, un sourire communicatif bien qu’aéré, et un gilet violet à paillettes. Elle avance à petits pas jusqu’à Myriam en s’appuyant lourdement sur son déambulateur.

La potière est touchée par sa réaction. Alors, elle pose sa gouge et laisse son photophore de côté. Elle se lève pour faciliter la conversation et salue Odette, qui semble avoir remarqué le petit coin de travail. La pensionnaire s’approche.

– Vous savez, je crois bien que moi aussi, j’ai fait de la poterie avant, dit-elle, hésitante.

– Ah oui? Et vous aimiez cela?

– Oh oui, c’était une passion ! J’avais fait un vase. Il était beau mais il avait une fissure, alors ma fille ne met que des fleurs séchées dedans.

– C’est joli aussi, les fleurs séchées, mais c’est dommage pour votre vase, répond Myriam.

– Est-ce que je peux venir en cours chez vous? demande alors subitement Odette.

– Euh oui, je donne des cours dans mon atelier, répond Myriam vaguement.

En fait, elle a du mal à savoir si Odette a vraiment la possibilité de venir jusqu’à l’atelier ou si elle a juste oublié qu’elle n’en est plus capable.

Mais cette réponse vague ne convient pas à Odette. Elle demande à Myriam sa carte de visite, veut savoir si elle peut venir à pied, puis par quel bus (le 77), à quel arrêt il faut descendre (Bellevue) et comment rejoindre l’atelier depuis l’arrêt (en suivant les flèches). Myriam note toutes ces informations au dos de sa carte de visite, le temps de mieux cerner à quel point elle est en train de se rendre complice d’une fugue de nonagénaire. Puis elle lui propose une autre solution :

– Vous savez, il m’arrive de faire des animations pour des écoles, des entreprises, des instituts en tous genres, et j’aimerais aussi beaucoup venir enseigner la poterie en maison de retraite. Peut-être que je pourrais en parler à votre animatrice Virginie, pour que vous n’ayez pas à vous déplacer jusqu’à l’atelier ?

Nouvelle illumination de visage.

– Oh oui alors ça oui, ce serait formidable ! Allez, venez, on va lui en parler de suite !

 

CHAPITRE 2 – Lundi 2 décembre 2024

Virginie est occupée sur le stand des créations des pensionnaires. Odette tire Myriam jusqu’à Virginie, une main sur son bras, l’autre sur son déambulateur, jouant des coudes parmi les visiteurs des stands voisins.

– Virginie, Virginie, il faut que Myriam revienne pour nous donner des cours de poterie, interpelle Odette.

– Euh, oui Odette, c’est une bonne idée, répond Virginie, clairement prise au dépourvu. Je vais en discuter avec Myriam.

Un peu gênée du hold up dont elle ne veut pas avoir l’air complice, Myriam précise à Virginie :

Je peux intervenir dans tous types de structures en effet, mais il faut d’abord que je t’envoie des informations, un devis, et que l’on discute des conditions en fonction du nombre de participant.e.s, de la durée de l’atelier, etc. Est-ce que de ton côté, tu as un budget pour des interventions de prestataires extérieur.e.s?

– Cela arrive qu’on en accueille, mais en effet, il faut qu’on s’organise et qu’on en reparle à un moment plus opportun, d’accord, Odette ?

– D’accord, vous en parlez et on se revoit bientôt, Myriam !

Myriam retourne à son stand et le reste de la journée se déroule dans une ambiance conviviale et animée. 

 

Le lendemain matin, Myriam remonte de l’école du village, où elle a déposé ses filles et se prépare une tisane “détente” pour se réchauffer avant sa journée de comptabilité et de production. La conversation d’hier, un peu expédiée, entre Odette, Virginie et elle, lui revient en tête. Dès qu’elle aura un moment dans la semaine, il faudra qu’elle envoie un devis à Virginie avec toutes les informations. Mais pour l’instant, elle doit finaliser un devis pour un moment créatif entre collègues dans une super entreprise, faire ses comptes, répondre aux mails du week-end, rappeler des clients, faire sa liste de courses chez son fournisseur Céradel et monter la vidéo du prochain tuto (celui de l’automne avait eu son petit succès !). Et quand elle aura fait tout cela, elle pourra enfin chausser ses sabots dans le froid de l’atelier et s’attaquer aux commandes personnalisées en attente.

La matinée administrative se passe sans encombre ni passion, puis jMyriam passe au moment qu’elle préfère, la production. En attente, elle a 6 bols pour des entrées, une plaque de numéro de maison et un grand vase, pour trois client.e.s différent.e.s qui les attendent pour les glisser sous le sapin de leurs proches. 

Elle commence par les bols. Elle prépare des balles de terre, s’installe à son tour, puis elle tourne un prototype en faïence de Provence, pour que sa cliente puisse valider définitivement la forme et la taille. Elle lui envoie la photo par sms et comme elle me la valide immédiatement, elle peut tourner les autres bols aux mêmes dimensions. Dans ses oreilles, elle a le dernier épisode du podcast de Ben Mazué sur l’amour, et dans ses mains, la terre qui tourne et la fait entrer dans un état presque méditatif. Elle fait même un bol de plus, pour la route (et aussi pour éviter de devoir en tourner un autre le lendemain si le tournasage ne se passe pas comme prévu – astuce du CAP). 

Pour la plaque de numéro de maison, c’est comme de la pâtisserie. Myriam étale son grès de Bourgogne en prenant soin de respecter les dimensions de sa cliente et en ajoutant les millimètres qui disparaîtront au séchage et à la cuisson. Elle fait sa découpe et pose un poids sur la plaque pour éviter qu’elle se déforme (la terre n’aime pas être plate). Elle aussi va sécher jusqu’au lendemain.

Et enfin, elle sort l’ébauche du grand vase de son plastique, sous lequel elle l’avait placé avant le week-end pour éviter qu’il ne sèche trop vite. Elle reprend la forme du vase selon les derniers échanges avec son client, qui souhaite que le haut soit encore plus évasé et en vague. Elle étire délicatement les parois, puis les lisse avec une estèque et une éponge légèrement humide. Elle prépare des propositions d’écritures pour les quatre prénoms des neveux et nièces du client. Elle envoie la photo des tests au client pour qu’il valide le résultat. 

Mais avant que son message ne parte, Myriam voit un appel entrant sur l’écran de son téléphone. C’est Virginie.

– Allo Virginie ? répond-elle.

– Bonjour Myriam, comment vas-tu ?

– Je vais bien merci, est-ce que j’ai oublié quelque chose hier à la résidence?

– Non non, je t’appelle simplement parce que j’aurais besoin d’un service, si tu en as la possibilité.

Pourvu qu’Odette ne se soit pas enfuie.

– Tu te souviens, hier, je t’ai parlé des autres animations que j’organise ce mois-ci à la résidence, notamment la danse assise ?

Euh oui mais bon moi, tu sais, la danse, ce n’est pas trop mon domaine, même assise…

– Non bien sûr. En fait, le professeur de danse assise, qui vient tous les mardis, s’est fracturé une côte lors d’un cours de fox trot. Il va donc devoir reporter tous ses cours à janvier. Est-ce que cela te dirait de le remplacer jusqu’à la fin de l’année et de venir donner des cours de poterie pour les résident.e.s ?

– Oh mince le pauvre, répond Myriam encore interloquée par le concept de fox trot assis. Mais oui, ce serait super. Je t’avoue que la période est un peu chargée en ce moment, mais il me reste un créneau le mardi. Je te prépare un devis détaillé. Sais-tu combien de personnes seraient intéressées par le cours de poterie ?

J’ai fait un sondage ce matin au petit déjeuner, j’ai déjà 6 volontaires !

– Excellent, je suppose qu’Odette est de la partie ?

– Bien sûr, c’est elle qui m’a dit de t’appeler quand j’ai annoncé l’annulation du cours de danse ! Alors j’attends ton devis, merci beaucoup, à bientôt.

 

Urgence oblige, Myriam remet le vase sous son plastique en attendant la validation du client, puis se met au travail sur le devis. Elle détaille un programme de quatre séances, pour les quatre mardis de décembre. Comme elle ne connaît pas le niveau des participant.e.s, elle propose la réalisation d’un vase, en espérant que cela fera plaisir à Odette. Elle compte 2 séances pour réaliser l’ébauche, puis 2 autres séances pour les finitions et la pose des engobes. Elle s’occupera de l’émaillage et des cuissons à l’atelier. Les autres résidents seront sûrement contents de pouvoir personnaliser un peu leur chambre avec leur vase fait main.

 

C’est déjà l’heure d’entamer sa troisième journée de la journée donc Myriam envoie le devis à Virginie et descend chercher ses filles à l’école. 

 

Chapitre 3 – Mardi 3 decembre 2024

– Alors là, c’est un record, s’exclame Myriam en lisant la réponse de Virginie pendant que son mari Victor débarrasse le dîner, même pas 24 heures entre la rencontre de la cliente et l’acceptation du devis! Et sans négociation. CHAMPAGNE!

– Félicitations, tu leur as tapé dans l’oeil !

Les filles de Myriam, Zoé et Lucile, descendent les escaliers, brosses à dents dans là bouche :

– Qu’ech qui che pache?! demande l’aînée, Zoé.

– Maman va travailler avec les vi… les papis et des mamies ! Répond Victor, enthousiaste

– Ah oui? Soirée télé pour fêter ça, maman, tente la petite Lucile.

Myriam renvoie les filles se préparer pour la nuit en riant et poursuit sa lecture.

– L’animation aura lieu tous les mardis après midi de décembre. Ça me laisse le temps  de préparer le matériel de la première séance, ouf.

Le lendemain matin, pour tout préparer, elle réalise un prototype du vase en accélèré et note les étapes sur une fiche, ainsi que la liste du matériel. De cette manière, elle sait qu’elle n’oubliera rien ! Oublier et devoir improviser, c’est un peu sa hantise dans les situations nouvelles comme celles-ci, donc les listes, c’est ce qu’il faut pour se rassurer.

Mais l’avantage de ne pas avoir beaucoup de temps pour préparer cette première séance en maison de retraite, c’est que Myriam va devoir mettre son anxiété habituelle de côté et se faire confiance. Des séances, elle a en a préparé des centaines, avec des publics et dans des lieux très différents les uns des autres. Et si ces séances lui ont appris une chose, à elle la professeure, c’est que les mains dans la terre, les différences s’effacent. C’est magique. Alors au final, ce n’est jamais très nouveau. Les mains dans la terre, on n’est plus étiqueté « enfant », « adulte », « handicapé », hyperactif, mou du genou,  » valide », « actif », « retraité » etc. On est un humain ou une humaine, avec une matière tellement polyvalente qu’elle peut convenir à tout le monde. Tu as un trouble de l’oralité ? Pas de souci, travaille la terre à consistance cuir et construit des volumes en plaques. Tu es autiste non verbal? OK, alors on va trouver un moyen pour qu’on puisse communiquer grace aux super personnes qui te connaissent, juste ce qu’il faut pour que tu t’éclates. Tu as de l’arthrose dans les deux mains? Essaie avec une estèque en metal si tu narrives pas a tenir le couteau. Tu as super peur de rater et de te faire gronder? Ouh la pas de souci, ici on bidouille, on rafistole, on met des rustines. Et si tu ne tiens pas en place, pas de souci défoule toi sur mon recyclage ! Bref on s’adapte à toi et pas l’inverse comme ça, ça te fait une pause. 

C’est ça aussi la créativité, c’est se sortir les doigts pour que les gens puissent souffler un peu le temps d’une séance.

Myriam se rassure donc et prépare le matériel en 6 exemplaires, met tout cela et son chariot dans sa voiture.

Après le repas, la voilà repartie en direction des Jardins de Saint Amand.

Cinq minutes plus tard, dans le hall, Odette accueille Myriam avec un grand sourire. 

Elles montent à la salle d’animation, chacune avec son véhicule, Le déambulateur pour Odette et le chariot bleu pour Myriam. 

Arrivée en haut, Myriam débarque dans un autre monde. Ce n’est plus un marché de Noël mais une salle de jeux. Des tables sont disposées dans la salle. Attablés, de petits groupes de résident.e.s jouent calmement au Scrabble, plus bruyamment aux cartes, alors que d’autres s’endorment sur le journal ou un livre dans des fauteuils confortables près de la grande bibliothèque. 

Une table est vide, recouverte d’une toile cirée et d’un petit panneau « réservé – poterie ».

Virginie arrive accompagnée de quatre autres résidentes, et salue Myriam.

– Bonjour Myriam, bienvenue. Je te présente tes nouvelles élèves : il y a Odette que tu connais déjà et voici Victorina, Angéline, Eugénie et Dédée.

– Bonjour à toutes, merci de m’accueillir chez vous. Je vais installer le matériel et je serai à vous dans une petite demi-heure. Mais dites-moi, vous ne deviez pas être 6 élèves?

– Si si il y a Lorenzo aussi, mais il finit sa partie d’échecs avec son fils qui est venu « télétravailler » ici. Il nous rejoindra dans un moment.

Myriam se dit que finalement, la proportion femme/homme reste la même que dans tous les cours, les messieurs se font rares autour de l’argile. 

A 14h, le cours peut commencer. Les dames approchent un peu timidement, menées par Odette qui s’installe à côté de Myriam. 

– Je garde une place pour Lolo à côté de moi, il est sourd comme un pot, je lui montrerai ce qu’il faut faire s’il n’entend rien, ça vous évitera de répéter. Ah le voilà!

– Bonjour Mesdames, veuillez excuser mon retard, je mettais une raclée aux échecs à mon fils! 

Mais oui évidemment! Myriam reconnait l’homme farceur qui l’avait accueillie le jour du marché. 

– Ah ravie de vous revoir, Monsieur, lui dit Myriam pour l’accueillir.

– Bon, on dirait que la petite dame a besoin qu’on explique les règles de la maison, Virginie. 

Allons bon. Fight club, version carte vermeille.

– Oui en effet, maintenant que tu fais un peu partie de la maison, Myriam, le tutoiement est de mise et on s’appelle par nos prénoms.

– oui oui mais je te tutoie déjà, tu sais?

– Ah et c’est moi qui ai besoin d’un sonotone ici ? rigole Lorenzo. On se tutoie tous ici, entre vieux, avec le personnel, et même la directrice et pourtant, c’est pas la plus commode !

– ah d’accord, ca m’arrange alors. Je vous dis tu. 

– Ah non.

– Non?

– Non. Tu me dis tu. 

– Ah oui desolee. Ca va venir.

Toute la table se met à rire gaiement. Lorenzo a décidément un public conquis.

Myriam commence vraiment à se plaire dans cette ambiance bonne enfant.

– Bon Lolo, tu nous fais perdre du temps avec tes bétises, comme d’habitude, râle Odette. Myriam, on commence ? 

– Oui cheffe. Je vous ai préparé tout le matériel devant vous. C’est parti !

Chapitre 4 – Lundi 4 décembre 1933

Myriam montre le vase qu’elle a confectionné la veille et propose aux élèves de réaliser le même. Tout le monde est d’accord.

Myriam commence les explications :

Ce vase, nous allons le réaliser étage par étage. Chaque étage avec un colombin – Oui Dédée, c’est comme cela que ça s’appelle, un colombin !

Dédée avait écarquillé les yeux en entendant le mot “colombin”.

– Ce sont des longs et réguliers boudins de terre, que l’on va coller, les uns sur les autres, pour former les parois du vase, explique Myriam.

Ah oui comme en maternelle, remarque Victorina. J’étais institutrice avant la retraite, je m’y connais en colombins !

– Oui, en fait, poursuit Myriam, c’est une technique de poterie très ancienne, mais qu’on utilise toujours, notamment les potiers et potières qui n’ont pas l’électricité ou pour faire des grandes jarres, comme en Afrique sub-saharienne.

– Waouh tu nous fais voyager Myriam, ça me plait ! dit Odette.

– Tant mieux ! Allez on s’y met ? Pour commencer, on va étaler une plaque pour faire la base du vase. Je vous laisse prendre l’argile qui se trouve dans le sac devant vous, et la poser sur la planche. Avec le rouleau, vous allez étaler la terre comme pour faire une pâte à tarte.

Les six élèves s’exécutent.

Odette a le sourire jusqu’aux oreilles. Elle attrape le rouleau, et commence à étaler l’argile. Elle connaît ces gestes, elle les a déjà faits des centaines de fois. La première fois, elle avait 5 ans.

Songeuse, Odette se souvient.

Le lundi 4 décembre 1933, dans l’appartement croix-roussien de ses parents, qui leur sert également d’atelier de guimperie, Odette s’ennuie. Ses frères et sœurs, plus âgés qu’elle, sont à l’école. Ses parents sont occupés sur le rouet, à réaliser une commande urgente pour un négociant du centre, Audibert. Ils préparent les fils d’or qui seront ensuite tissés par d’autres canuts pour confectionner les galons et épaulettes dorés des uniformes militaires. Depuis quelques mois, les temps sont durs pour les guimpiers lyonnais, les commandes se font de plus en plus rares. Alors, quand on en a une à réaliser, on ne chôme pas, et Odette sait qu’elle doit s’occuper seule. 

Ce soir, on fête l’anniversaire de son grand frère Jeannot. Dix ans, ça se fête ! Alors c’est décidé, elle va faire la pâte pour la tarte aux citron, sa préférée. C’est facile, elle l’a déjà faite avec sa grand-mère. Elle a acheté les citrons avec elle sur le marché la veille, sur le Boulevard de la Croix-Rousse. Le vendeur a dit qu’ils venaient directement de Menton. Elle ne sait pas où est Menton, mais le nom de cette ville l’a bien fait rire. 

Odette a appris une astuce toute simple pour étaler la pâte : elle place deux baguettes en bois de chaque côté de la pâte, et elle l’étale jusqu’à ce que le rouleau roule sur les baguettes, pas plus bas. Ainsi, la pâte aura la même épaisseur de partout, et elle cuira mieux. Odette s’applique, étire la pâte jusqu’à ce qu’elle recouvre tout le moule. Parfait ! 

Dans la salle d’animation des Jardins de Saint-Amand, tous les apprenti.e.s céramistes ont le regard tourné vers Odette. Comme dans une transe à moitié consciente, prise dans ses souvenirs d’enfance, elle a étalé sa base d’argile comme une pâte à tarte aux citrons, et ses mains ont fait le reste : elle roulé des colombins, les a placés les uns sur les autres et les joints entre eux avec dextérité. 

Myriam n’en revient pas, elle n’a même pas fini d’expliquer les étapes qu’Odette a déjà monté la moitié du vase – Boudu, ma petite Odette, tu nous fais des cachoteries ?! demande son amie Eugénie, avec son accent de Montauban. Tu es sûre que tu n’as fait qu’un vase avant celui-ci ? 

– Oh tu sais, ma tête ne sait plus trop tout ça, mais en tout cas, j’aime beaucoup faire ça ! il va être beau mon vase, je suis contente. 

– Mais oui Odette, c’est incroyable, bravo, la félicite Myriam.

– Bon et bien au boulot, nous autres, on n’a plus qu’à copier Odette, encourage Victorina.

Une demi-heure plus tard, les 6 élèves ont achevé la moitié du vase, qui ressemble plutôt à un bol. 

– Bon, Myriam, ils ne ressemblent à rien, nos vases, râle Lorenzo. 

– Eh oui, pour l’instant, on n’a fait que la moitié du vase, patience ! La semaine prochaine, on fera le reste, et en attendant je vais placer les vases dans des boîtes en plastique pour qu’ils ne sèchent pas. C’est comme si on mettait le film sur pause, et on le reprend mardi prochain.

– Ha ha ha, et on ne pourrait pas faire pareil pour nous ? ça nous donnerait un petit coup de jeune ! s’exclame Angéline, qu’on n’avait pas encore entendue.

– Décidément, je pense qu’on va bien rigoler ensemble les amis, sourit Myriam

– Oui merci Myriam, dit Virginie, on n’a pas vu le temps passer. On va t’aider à ranger tout ça et puis on pourra se prendre un petit thé avant que tu partes.

– Super ! Mais avant, j’ai un cadeau pour vous, dit Myriam en cherchant dans son chariot.

– Mais ce n’est pas Noël ! conteste Lorenzo.

– Et non, c’est pour le 8 décembre, je vous ai apporté des photophores pour illuminer vos chambres ! Ils ont eu un petit souci à la cuisson, l’émail n’a pas bien réagit. Je sais que je ne pourrai pas les vendre, donc je vous les donne, ça me fait plaisir. 

– Haha si même la prof fait des erreurs, on est tranquilles alors, raille Lorenzo. En tout cas, merci beaucoup Myriam, ça va apporter un peu de vie dans ce mouroir !

– Oh Lorenzo, arrête tes bêtises, parti comme tu es, tu nous enterreras toutes, tu le sais bien !

– Allez du nerf, les amis, ordonne gentillement Virginie, habituée aux sarcasmes de Lorenzo, le cours de peinture sur soi commence dans 10 minutes, il faut qu’on libère la place.

Chapitre 5 – Jeudi 5 décembre 2024

Le lendemain matin, Myriam commence par une matinée à l’atelier. Cette petite pièce, son ancien garage, est comme un refuge. C’est une pièce lumineuse et chaleureuse, où il fait bon travailler. Sur tous les murs, des étagères regorgent de pièces d’élèves en attente de finitions, de boîtes d’outils, de livres, d’anciennes créations… c’est un joyeux bazar organisé. Myriam s’y sent bien. Elle aime autant y accueillir des élèves pour enseigner la poterie qu’y passer des moments seule pour créer.

Ces deux facettes de sa personnalité ont façonné son activité, elles rythment même son emploi du temps. Après une animation, comme celle à la maison de retraite, elle a besoin de moments de silence et de création. 

Donc ce matin, Myriam n’est pas professeure, elle est potière. Elle doit finir les commandes de la semaine, qu’elle a laissées en plan pour l’animation de mardi. Heureusement, l’astuce de la boîte en plastique ne sert pas qu’à ses élèves, elle l’utilise aussi pour gérer le séchage de sa production entre deux moments de création. Le séchage, c’est rarement quelque chose qu’on apprend en cours, mais pourtant c’est aussi important que toutes les autres techniques. 

A chaque stade de séchage de l’argile son panel de possibilités. Quand l’argile est humide, malléable, on peut bâtir la forme de la pièce, l’ébauche, mais on ne peut pas faire les finitions, car on laisse trop de traces. Quand l’argile est à consistance cuir, douce comme de la peau (le cuir), mais un peu plus ferme, elle est plus résistante : c’est le moment de percer, affiner, garnir d’anses ou de becs, d’assembler, coller, graver. Et enfin, quand l’argile est complètement sèche, tellement sèche qu’elle est fragile comme un biscuit sablé, on peut poser des couleurs (les engobes), râper, faire les finitions et surtout, cuire ! 

Myriam ouvre la porte vitrée de l’atelier pour laisser entrer la chatte des voisins, que ses filles ont nommée Grisette. L’hiver, la minette passe ses journées dans la chaleur de l’atelier, surtout quand le four a chauffé la nuit. Après lui avoir accordé son moment de gratouilles matinales, Myriam sort les sept bols à entrées, démarre le dernier livre audio de Gaël Faye, Jacaranda, et s’installe à son tour. 

Avec sa mirette, le Rwanda dans ses oreilles, elle commence à tournaser le premier bol : elle le pose à l’envers au centre de la girelle, puis commence à râper le dessous du bol puis les côtés. Les copeaux d’argile s’envolent et les bols s’allègent. Grisette la regarde attentivement tout en faisant sa toilette. Myriam reste concentrée, c’est la dernière chance pour définir la forme du bol, et surtout pour faire en sorte que les bols forment une série identique, un tout.

Alors qu’elle tournase le dernier bol, la voix de l’auteur s’interrompt et la sonnerie d’un SMS retentit. 

C’est le client du vase personnalisé :

Bonjour Myriam, c’est parfait, je valide votre proposition pour les lettres ! 

Chouette ! Myriam a hâte de passer à cette étape de cette commande exigeante mais passionnante. Mais pour l’instant, elle doit finir son tournasage. Elle remet le tour en route et continue de creuser le pied du dernier bol.

Une nouvelle fois, le téléphone sonne. Le client a-t-il changé d’avis ? se demande Myriam. Décidément, elle ne va pas pouvoir finir ce bol ! Elle allume son téléphone et lit :

Bonjour Myriam, c’est Odette. Ma fille vient samedi me voir, elle demande si je veux visiter un marché de Noël. Tu aurais un marché à me conseiller ? 

Myriam ne s’attendait pas à recevoir des nouvelles d’Odette aussi tôt, et encore moins par sms ! Elle répond :

Bonjour Odette, samedi, j’expose à Chasselay l’après-midi jusqu’à 21h. Il y aura pas mal d’exposants, des sapins, un village gourmand, et des chants de Noël, ça promet ! Je serais contente de t’y croiser et de rencontrer ta fille.

C’est une très bonne idée. Je vais en parler aux autres résident.e.s aussi ! À samedi !

Myriam finit son tournasage et se dépêche de ranger et laver l’atelier car cet après-midi, quatre élèves viennent pour leur cours de poterie : il y aura Charlotte, une jeune maman qui s’offre ses premières heures de liberté depuis la naissance de sa fille. Elle sera en bonne compagnie avec trois retraitées, Delia, Josiane et Annick, qui arrivent tant bien que mal à libérer deux heures chaque semaine pour la poterie dans leur agenda de ministre, entre leur cours de carnet de voyages et de sophrologie.

Chapitre 6 – Vendredi 6 décembre 2024

Le vendredi matin, Myriam prépare un cours qui la remplit de joie chaque semaine. Elle se rend aux Mésanges, un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP). Tous les vendredis, elle débarque avec son matériel de poterie pour passer deux heures avec des enfants qui ne sont pas ou peu scolarisés en raison de difficultés psychologiques ou comportementales. 

Et ce vendredi matin, à peine garée sur le parking de l’institut, trois enfants, Mahé, Sacha et Alya, accueillent Myriam. 

– Myriam, enfin te voilà, vite, tu es en retard ! s’exclame Mahé, l’ainé de la troupe, un garçon brun et souriant de 12 ans. 

– Hé ho bonjour d’abord ! répond Myriam avec le sourire. C’est vrai, il est presque 10 heures, désolée. C’est parti alors ! Vous êtes en forme les loulous ?

– Ouiiiiiiiiii s’écrie la petite Alya, qui du haut de ses 6 ans, attrape la poignée du chariot bleu de Myriam pour le tirer jusqu’au bâtiment où a lieu l’animation.

– Grave en forme ! En plus, aujourd’hui, c’est la journée des familles, explique Sacha, 10 ans, faut pas traîner, ils vont bientôt arriver! Sacha, avec son regard fuyant, est assez discret d’habitude, mais aujourd’hui, il a l’air très enthousiaste et il tire Myriam par la main.

– Mais oui, je sais, j’ai tout prévu ! leur crie Myriam qui a du mal à suivre.

C’est en effet une journée spéciale aux Mésanges, la journée des familles. Tous les enfants de l’institut n’ont pas un papa et une maman, mais les personnes qui leur rendent visite aujourd’hui sont tout autant une famille : cela peut être la famille d’accueil, comme celle d’Alya qui est une pupille de l’état, ou bien un autre membre de la famille, comme le papy de Sacha qui va venir ce matin. Mahé, lui, accueillera ses parents et il a très très hâte.

Ce petit groupe passe sa journée dans un local qui ressemble à un petit appartement : il y a une entrée, une cuisine, une salle de bain, un bureau et petites pièces qui servent de salles de jeux thématiques : un coin pour bouger et se défouler, une salle pour créer, une autre pour construire (lego, kapla etc), et une salle où les enfants ont construit une cabane avec des couvertures. Et au centre, une grande salle meublée de deux grandes tables en bois, une table plus petite et des chaises. Cette salle vitrée leur offre une vue magnifique sur le parc arboré de l’institut et, au loin, la Dombes, le territoire au mille étangs au nord de Lyon.

Dans la cuisine, Géraldine, l’éducatrice du groupe, est occupée à ranger au frais la petite collation que les enfants viennent de préparer pour les invités. Avant la poterie, ils ont un atelier cuisine avec un autre éducateur de l’institut. 

– Bonjour Myriam, tu vas bien ? l’accueille Géraldine. Tu as vu, je t’ai envoyé du renfort ce matin ! 

– Salut Géraldine. Oui, ils sont déjà à fond ! J’installe tout et je te fais signe quand l’activité peut commencer. 

Les enfants partent jouer dans les salles, ils ont l’habitude. Personne ne regarde les surprises que Myriam a préparé tant que ce n’est pas prêt ! Elle déballe ses caisses. Ce matin, elle axe son animation sur le partage, les jeux à plusieurs, la transmission entre enfant et famille.

Elle commence à bien connaître les enfants : elle sait qu’Alya ne supporte pas la frustration et l’échec, que Sacha a du mal à faire confiance et que l’argile malléable colle trop pour lui, et que Mahé a parfois des difficultés à canaliser son énergie et ses paroles. Dans les situations stressantes comme aujourd’hui, avec les familles qui viennent voir ce qu’ils ont fait ce trimestre, les enfants risquent d’avoir encore plus de mal à contrôler leur comportement, mais ils ont aussi encore plus envie de bien faire. 

Myriam a donc prévu plusieurs propositions d’activités : certaines pourront servir de soupape, d’autres seront des petits challenges atteignables, et enfin certaines pourront être plus familières, confortables. 

Sur une table, elle dispose d’abord un petit projet guidé de constructions de photophores maisons en argile à consistance cuir : une texture douce comme la peau. C’est un peu comme un jeu de construction.  

Sur une des deux grandes tables en bois, Myriam prépare un espace de modelage libre très attendu par Mahé, qui travaille sur son zoo fantastique. Il a déjà réalisé un dragon, une licorne, et a le projet de créer un phénix. Ici on trouvera de l’argile molle, des outils de sculpture, de la barbotine et de quoi dessiner les croquis.

De l’autre côté de la table, Myriam dispose un espace avec les engobes et les créations de la semaine précédente à colorer : pinceaux, éponges, brosses à dent, palettes, de quoi mettre tout un monde en couleurs. En général, c’est ici qu’Alya s’installe, c’est une activité satisfaisante qu’elle maîtrise bien.

Myriam a enfin disposé sur la deuxième grande table en bois les carreaux de mosaïque que les enfants ont réalisés les dernières semaines, pour qu’ils puissent les coller sur un support en bois. La mosaïque représente trois mésanges perchées sur une branche. L’objet pourra servir de dessous de plat pour les repas pris en commun le midi.

Et enfin, pour apporter de la nouveauté à ces enfants qui en raffolent, Myriam a apporté de quoi apprendre à recycler la terre : de l’argile sèche, un rouleau pour la concasser, des récipients d’eau pour réhydrater la terre et des plaques de plâtre pour l’assécher à nouveau et la rendre malléable. Cette activité est toujours un succès, c’est magique et on a le droit de se défouler sur la terre ! 

L’heure sonne et les enfants arrivent, cette fois-ci accompagnés de leurs proches : Alya, un petit gabarit, arrive dans les bras de sa maman d’accueil, Jacqueline. Mahé montre fièrement ses dessins affichés au mur de l’entrée à ses parents, il leur raconte son univers fascinant en sautant presque sur place d’excitation. 

Myriam les salue, les invite à avancer vers les différents ateliers et tout le monde enfile les tabliers.

Il ne manque que Sacha, qui est sorti chercher son grand-père sur le parking. 

Ils arrivent enfin, accompagnés d’une jeune femme que Myriam reconnaît de suite. 

– Mais Virginie ?! Que faites-vous ici ? demande-elle en voyant entrer l’animatrice des Jardins de Saint-Amand.

– Myriam, c’est vous? ma parole, on ne se quitte plus, s’écrie Virginie. 

– Oh Myriam, c’est pas vrai, vous me suivez ?! coupe Lorenzo en entrant à son tour. Ne me dites pas qu’on va faire de la poterie ?

– Bonjour vous deux, ravie de vous revoir, quelle surprise ! Lorenzo, vous êtes le grand-père de Sacha ?

– Mais oui, c’est mon petit fiston ! Depuis que sa maman, ma fille est partie, on est comme les deux doigts de la main, Sacha et moi. Alors quand c’est possible, Virginie fait le taxi entre les Mésanges et les Jardins. 

– Formidable. Venez, l’animation commence, dit Myriam en leur tendant des tabliers.

Le groupe s’essaie à tous les ateliers que Myriam a proposés, les familles participent, se laissent guider par les enfants heureux.ses d’avoir le rôle d’experts. Myriam, de table en table, encourage, guide, rafistole, oriente, et dispense divers conseils et astuces.

Une heure plus tard, quand tout le monde commence à fatiguer, Géraldine, l’éducatrice des Mésanges, propose une petite pause. Myriam débarrasse une des tables en bois et le groupe s’installe. Les enfants apportent fièrement les plateaux de la cuisine.

– Oh des biscuits de Noël à la cannelle ! s’exclame Lorenzo en faisant passer le plateau autour de la table. Bravo les enfants, on est reçus comme des rois ! Et ce chocolat chaud, ça nous change des tisanes pisse-mémé des Jardins

– Hahaha pisse-mémé, t’es trop drôle le papy de Sacha ! s’esclaffe Alya, sur les genoux de Jacqueline.

– Vous travaillez dans un jardin, Monsieur ? demande Jacqueline en servant les tasses de chocolat chaud.

– Non non, les Jardins, c’est ma maison de retraite ! 

– Moi je trouve qu’on est très bien reçu aussi, aux Jardins de Saint-Amand, Lorenzo, conteste Myriam. C’est même vous qui m’avez accueillie la première fois que je suis venue. Vous m’aviez bien fait rire.

– Oui c’est vrai qu’on arrive à être agréables quand il y a des invités, répond Lorenzo. Même Odette ! 

– Papy, c’est qui Odette ? demande Sacha

– Odette, elle est chouette, c’est une de mes copines aux Jardins. Je te la présenterai, mais bon, parfois elle divague un peu ! répond Lorenzo.

Myriam, intriguée, écoute la conversation.

– Elle a perdu la mémoire, cette Odette? demande Géraldine.

– Non, répond Virginie, disons qu’elle n’a pas tous ses repères depuis qu’elle a quitté son appartement en ville où elle habitait seule. Elle y avait ses habitudes. Maintenant c’est différent, elle est bien entourée, c’est sûr. Mais parfois, les résident.e.s mettent du temps avant de se créer de nouveaux repères alors tout s’embrouille dans leur tête.

– Oui enfin tu es gentille, Virginie, ricane Lorenzo, mais l’autre jour elle nous a quand même raconté qu’elle avait fait le tour du monde !

– Whaaaaaat chan-mé la mémé, elle a fait le tour du monde ! s’exclame Mahé, que ses parents regardent immédiatement en fronçant les sourcils.

– Euh pardon, bravo la mémé ! se corrige-t-il.

– Et alors, c’est possible, Lorenzo, non? répond Virginie. On ne sait pas grand-chose d’Odette, sa famille vient assez rarement la voir. Et puis ça la regarde, c’est son histoire ! Sa fille vient demain justement, on en saura peut-être un peu plus.

– Ah bah même les vieux, ils ont des familles tordues, ça rassure, réagit Sacha en applaudissant.

 – Oh elle est pas tordue notre famille, réagit Lorenzo, juste un peu bancale. Et puis il y a aussi la famille qu’on se crée, ça compte, ça ! Regarde comme tu es bien entouré ici !

– Oui c’est vrai. Moi en tout cas, j’aime bien les gens qui divaguent, c’est marrant, répond Sacha. C’est comme Mahé, il part dans tous les sens, des fois on a du mal à suivre !

– Hé mais ta gueule toi ! tu t’es vu -, dérape Mahé

– Ah non Mahé, attention, l’interrompt Géraldine, habituée aux conversations qui s’échauffent entre les deux garçons.

– Oh les deux coqs, on se calme, renchérit Lorenzo. Bon au moins ici, il y a de l’animation, ça nous change des après-midi bridge. Par contre, on va devoir prendre du souci, Virginie, je voudrais pas manquer le jeu de l’apéro aux Jardins.

Lorenzo embrasse son petit-fils, salue l’assemblée, et se dirige vers la sortie avec Virginie.

L’animation se termine, les enfants aident à ranger et nettoyer. En tirant son chariot bleu jusqu’au parking, Myriam sourit. C’était un chouette moment de partage, elle s’est sentie comme au milieu d’une grande famille. Rapiécée en effet, mais une famille quand même. 

Chapitre 7 – Samedi 7 décembre 2024

Enfin le week-end de la Fête des Lumières, cher au coeur des Lyonnais et Lyonnaises. Ce week-end, Myriam expose sur un marché de Noël nocturne qui promet une belle affluence et des animations festives. 

Myriam a chargé sa voiture familiale de ses caisses remplies de créations en céramique et de matériel d’exposition. Elle se dirige vers un charmant village du Beaujolais, à une vingtaine de minutes de son atelier. 

Arrivée dans la salle d’exposition, elle retrouve Marie, une “collègue” de marché. Elle a déjà disposé toutes ces créations textiles, tout est bien rangé, joliment disposé.

Myriam se met au travail, elle installe son stand. A chaque marché, il faut s’adapter à un nouvel espace : les dimensions, la lumière, l’emplacement changent et peuvent influencer le comportement des client.e.s potentiel.le.s. A chaque marché, depuis 3 ans, Myriam gagne des connaissances en la matière et améliore sa capacité à improviser et à mettre en valeur son travail. Elle a aussi appris à lâcher prise, à improviser, à se faire confiance.

C’est l’heure, les portes de la salle et une horde de visiteurs.euses s’engouffre dans la salle pour se mettre à l’abri. Myriam aperçoit le parking au-dessus des têtes : dehors c’est la tempête, les premiers flocons de l’hiver tombent dans un mélange de neige et de pluie glacée. 

La sono se met à chanter des chants de Noël et une ambiance festive inonde la salle. Myriam reçoit de nombreux compliments sur le bleu de sa nouvelle collection, sur les bougies qu’elle a créées en collaboration avec une collègue illustratrice. Ces compliments, pour elle, sont presque aussi importants que les achats, ils boostent sa confiance ! Les habitant.e.s du village et des alentours se retrouvent dans les effluves épicées de vin chaud en se délectant des spécialités culinaires locales et des créations artisanales présentées. 

Comme la semaine précédente, Myriam s’est aménagée un coin “démo” en bout de table. Elle y construit des photophores en forme de maisons, qu’elle vendra lors de son prochain marché. Les enfants s’attardent la scène, captivés par les gestes de Myriam. Les questions fusent, Myriam explique et montre son petit chantier de construction et les enfants partagent leur propre expérience de la poterie. 

En milieu d’après-midi, les allées se vident : un spectacle pour enfants est offert dans la salle de spectacle voisine. Myriam en profite pour arranger son stand suite aux premiers achats. Soudain, elle sent une petite tape sur l’épaule. Elle se retourne.

– Bonjour Myriam ! dit Odette, emmitouflée dans un manteau de laine rouge. Elle porte une chapka de la même couleur.  

Myriam met un moment avant de reconnaître la petite dame accoudée sur son déambulateur pour retirer ses gants.

– Oh Odette, super, tu as pu venir ! Avec ce temps, je me demandais si tu allais pouvoir venir jusqu’ici !

– Je n’aurais manqué cela pour rien au monde, il me fallait des lumignons pour ma nouvelle chambre et j’avais envie de sortir voir le marché, comme avant. Avant, quand j’habitais à la Croix-Rousse, je descendais à pied jusqu’à la Place Carnot, mais maintenant c’est trop loin et bien trop bondé. Ce petit marché m’a l’air tout aussi bien !

Derrière Odette, une femme d’une soixantaine d’années s’approche à son tour, un lumignon à la main.

– Bonjour Madame, vous connaissez ma maman ?

– Enchantée Madame. Je suis Myriam, la professeure de poterie d’Odette.

– Mais bien sûr, dit-elle en levant les yeux vers la pancarte de Myriam. Elle m’a beaucoup parlé de vous depuis ce matin !

– En bien j’espère ? répond Myriam.

– Oh oui, elle m’a dit que vous veniez aux Jardins pour les animations ? demande Agnès.

– Oui et c’est grâce à Odette, elle avait vraiment très envie de faire de la poterie. On s’est rencontrées lors du marché de Noël de la résidence le week-end dernier, précise Myriam.

– J’ai loupé ça ! C’est vrai que j’ai du mal à trouver le temps de venir, ce n’est pas simple quand on est loin. Et je m’occupe de mes petits-enfants aussi, vous savez, je jongle entre plein de choses !

– Oh mais ne vous justifiez pas, on fait tous et toutes comme on peut. En tout cas, Odette, tu as l’air de te plaire aux Jardins. 

– Oui, répond Odette, c’est sûr que ce n’est pas comme chez moi, mais tout le monde est bien gentil. Et je suis ravie de pouvoir refaire de la poterie. 

– “Refaire” ? reprend Agnès. Mais Maman, tu as déjà fait de la poterie ?

– Écoute, je ne sais plus trop. Ma mémoire me fait défaut, parfois, je crois. Mais il me semble que je t’ai donné un vase, non, Agnès ? Tu sais, le vase en terre cuite que je t’ai offert pour ton mariage ?

– Ah oui le vase fissuré ou j’ai mis mon bouquet de mariée séché ? C’est vrai, il est très beau ! Je pensais que tu l’avais acheté pendant ton voyage, c’était juste à ton retour. 

– Tu as voyagé, Odette ? demande Myriam, de plus en plus curieuse sur la vie d’Odette.

Mais leur conversation s’interrompt subitement par le retour de la foule après la fin du spectacle et l’annonce au micro des gagnants de la tombola. Odette et Agnès, qui peinent à se faire entendre, font signe à Myriam qu’elles vont faire le tour du marché avant de ne plus pouvoir circuler aisément avec le déambulateur. Myriam les salue et les regarde s’éloigner, songeuse. 

Une cliente s’approche, retire ses gants gelés et coupe court aux pensées de Myriam en s’exclamant “Oh ce bleu, c’est magnifique, je craque !”

Myriam rougit et répond : 

– Merci Madame, c’est vraiment gentil de me le dire. Je l’aime beaucoup ce bleu, j’ai mis longtemps à le trouver et à trouver ce mouvement, cette ronde. 

– Oui, c’est vraiment du beau travail. J’hésite entre le pichet et les photophores… Chéri, tu en penses quoi? demande-t-elle à l’homme grand et mince qui l’accompagne.

– Oui, ces photophores iraient bien sur la cheminée, répond son mari. Et le pichet, franchement, sur la table de Noël et même tous les jours, ce serait vraiment spécial. 

– C’est vrai, je pense qu’on va prendre les trois. C’est vraiment un gros coup de cœur.

Myriam est touchée. Des mois de réflexion, d’essais et de fabrication prennent à ce moment précis tout leur sens. 

Quelques heures et ventes plus tard, le marché prend fin et Myriam rentre heureuse chez elle.

Chapitre 8 – 8 décembre 2024

Dimanche, c’est relâche. Myriam ne met les pieds à l’atelier que pour décharger le matériel de la veille, qu’elle n’a pas eu le courage de sortir la veille au soir en rentrant du marché.

Comme beaucoup de dimanches, c’est une journée pyjama en famille. Zoé et Lucile ont attrapé la grippe, donc la journée passe au rythme des prises de paracétamol, des siestes et des éternuements. 

Le soir, la petite famille prend quand même le temps de sortir le carton des lumignons et d’en sortir quelques-uns sur les rebords de fenêtres. Chaque année, les filles rapportent de nouveaux lumignons décorés en classe.

– Maman, je peux allumer les bougies? demande Lucile, qui sait se servir des alumettes depuis peu.

– Oui bien sûr.

Zoé, sa grande soeur, aligne les lumignons dans l’ordre, de la petite section au CM1.

– Vous voyez comme le temps passe vite ? de mande Myriam. Déjà 11 lumignons à vous deux ! Bientôt, il nous faudra une nouvelle boîte !

Lucile allume les bougies chauffe-plat et les place dans les verres colorés. Zoé préfère être en charge de l’alignement, le feu l’effraie.

Pendant l’installation, les parents racontent encore une fois des histoires de lumière, de famille et de traditions, comme l’ont fait leurs parents avant eux. Ils ne sont pas croyants, mais ils expliquent l’origine de cette tradition qui rassemble les lyonnais du monde entier tous les ans.

Dehors, les flammes vacillent mais restent vives et les couleurs des verres décorés se reflètent dans les gouttes de pluie qui tombent. 

Les filles s’endorment paisiblement et les parents rêvent d’une nuit calme.

Avant de dormir, Myriam repense à sa rencontre avec Odette et sa fille sur le marché. Elle se tourne vers son mari Victor et lui raconte la conversation de la veille.

– C’est étrange, dit-elle, ces pertes de mémoire, ce mystère autour du passé d’Odette. 

– Oui et d’après ce que tu me dis, sa fille n’avait pas l’air d’en savoir beaucoup plus sur sa propre mère? répond Victor.

– Oui, vraiment bizarre. Apparemment, elles ne sont pas très proches. Toutes ces connaissances, ces souvenirs qui partent aux oubliettes, qui ne seront pas transmis à sa fille. C’est triste, je trouve.

– Tu sais, répond Victor, toutes ces histoires, elles doivent bien être encore inscrites quelque part ? Dans ses mains peut-être ? 

– Possible, songe Myriam. C’est vrai qu’aux Jardins, elle m’a bluffé. Je n’avais jamais vu une élève improviser le montage des colombins comme elle l’a fait, avant même d’entendre mes explications. 

– C’est clair que ça me parait compliqué ! répond Victor.

– Oui. Ce n’est pas comme pincer un bol, une technique qui peut parfois venir instinctivement. Monter des colombins, les joindre entre eux petit à petit, les lisser, les aligner aussi précisément que l’a fait Odette, cela demande au moins quelques essais. 

– Et si Odette a déjà fait de la poterie, à ton avis, pourquoi elle n’a pas accès à ce souvenir ? 

– Aucune idée. Je la revois mardi, j’en saurai peut-être plus. 

– Oui et en attendant, tu sais, elle passe de bons moments ! Même si elle ne se souvient pas de tout, elle se crée sûrement de nouveaux bons souvenirs grâce à toi. 

– Merci, tu sais, moi je ne suis là que pour faciliter les choses. C’est la terre qui permet tout ça. Parfois elle permet d’oublier, de mettre son cerveau en pause, de laisser son corps, ses mains agir en toute simplicité. Et d’autres fois, elle permet au contraire de vraiment se connecter à soi, de réfléchir, loin des stimulations de la vie quotidienne ou des écrans.

 -Tu es modeste ! C’est sûr que la terre permet tout ça mais toi, tu peux être fière de créer un espace où tout cela peut se passer. En tout cas, apparemment pour Odette, c’est du bonheur.

Chapitre 9 – Lundi 9 décembre 2024

Ce lundi débute avec des airs de faux-départ. La grippe sévit toujours chez Myriam. Elle garde Lucile, qui est toujours malade, courbaturée et fiévreuse. Myriam, elle, est vaccinée. A cette période chargée, elle ne peut pas prendre le risque de tomber malade. 

Elle arrive quand même à finir sa comptabilité du mois de novembre en laissant Lucile s’occuper avec son livre d’activités de l’hiver. Le bilan du mois de novembre est positif. Elle va pouvoir se payer un peu plus que d’habitude grâce aux ventes sur les marchés et aux commandes de cartes cadeau qui arrivent régulièrement dans sa boîte mail. Elle n’atteint toujours pas le smic, mais après tout, pourquoi avoir cet objectif qui ne veut pas dire grand chose dans sa vie actuelle ?

Elle se réjouit que cet argent témoigne que les client.e.s apprécient qui elle est vraiment, sa démarche artistique, ses créations à tâches et coulures, son désir de diffuser les bienfaits de la poterie et de la créativité. Cette rémunération ne paie pas les factures à elle seule, mais elle vaut tout l’or du monde si cela veut dire se sentir à sa place. 

L’après-midi, Victor rentre télétravailler pour garder Lucile, qui s’est endormie avant le repas. Myriam enfile un pull, ses sabots et son tablier, et se met au travail à l’atelier. Elle a cinq heures de travail devant elle avant le dîner, pour arriver à avancer la production des commandes et des produits qu’elle vendra en cette fin d’année. 

Elle s’installe à son tour pour tournaser les bols et les oyas d’une commande. Ensuite, elle refait une plaque de numéro de maison pour remplacer la première, qui s’est fendue à la cuisson. Ce genre d’accident arrive, Myriam a appris à ne pas trop s’attacher à ses créations tant qu’elles n’ont pas eu leur deuxième cuisson.

Enfin, Myriam décide de fabriquer de nouveaux petits photophores en forme de maisons. Du modelage, pour changer du tour, c’est comme une petite récréation. C’est plus long, plus fastidieux, mais Myriam a un système efficace, à l’aide de gabarits en carton, qu’elle utilise à la fois pour découper les plaques d’argile, mais aussi pour les plier, comme un origami. Pour faire passer le temps plus vite, elle se prépare une tisane pomme-cannelle bien chaude, et lance un téléfilm de Noël sur son téléphone.

Au bout de cinq minutes, le téléfilm s’arrête et la sonnerie d’un appel retentit dans l’atelier. Le téléphone affiche le nom de Virginie, l’animatrice des Jardins de Saint-Amand.

– Allo Virginie ? répond Myriam.

– Bonjour Myriam, j’espère que je ne te dérange pas ? 

– Non pas du tout, je suis à l’atelier, mais tu es sur haut-parleur, je t’écoute.

– J’ai un souci pour l’animation de demain, il y a une épidémie de grippe à la résidence, tu n’auras que 2 élèves.  Victorina, Angéline, Eugénie et Dédée sont au lit. 

– Ah décidément la grippe est chez vous aussi ? Ici c’est ma fille qui est malade. Rien de grave pour les résidentes, j’espère ?

– Non, elles sont juste confinées pour éviter de contaminer les plus fragiles. Écoute, ça m’embête de te faire venir juste pour 2 élèves. Je n’ai pas trouvé d’autres volontaires.

– Ce n’est pas un problème en soi, mais c’est vrai que du coup ce n’est pas aussi rentable pour moi.

Le téléphone de Myriam bippe. 

– Ah attends Virginie, j’ai un double appel. Je peux te faire patienter un moment, au cas où c’est l’école de ma grande ? Je te rappelle.

Myriam décroche : 

– Bonjour Myriam, c’est Géraldine, je te dérange pas ?

– Je suis en ligne avec Virginie, mais dis-moi, c’est urgent ? 

– Oui en fait je voudrais savoir si on pourrait décaler la séance de vendredi à plus tôt dans la semaine, j’ai un empêchement. Genre, demain ? 

– Euh c’est délicat, j’ai un cours aux Jardins justement demain. Mais attends, j’ai peut-être une idée. Vous avez bien un minibus pour les enfants ?

– Oui bien-sûr. Tu veux faire le cours aux Jardins ? Ca ne te ferait pas trop de monde d’un coup ?

– Non justement, Virginie m’appelait pour me dire que je n’aurai que 2 élèves. Moi ça m’arrange, et depuis notre dernière séance, je me dis que ce serait marrant de décloisonner un peu tout ça.

– Bah écoute, j’en parle à ma direction et je te dis. Je sais déjà que les enfants seraient enchantés de sortir de l’ITEP !

 -Parfait, je demande à Virginie ce qu’elle en pense et on se tient au courant.

De l’autre côté du téléphone, Virginie accueille la proposition avec enthousiasme. Elle doit demander l’autorisation à sa direction, pour des histoires d’assurances, et tiendra Myriam informée dès qu’elle aura eu le feu vert.

Myriam termine ses maisons. Elle finit cette séance de production en enfournant photophores, oyas et pièces d’élèves tout en songeant que les animations ne cesseront décidément jamais de la surprendre. Il est déjà 19 heures, l’heure de raccrocher le tablier et de rentrer se réchauffer en famille.

Demain matin, l’atelier sera bien chaud grâce au four qui va monter à mille degrés cette nuit. 

Chapitre 10 – Mardi 10 décembre 2024

Le mardi matin, la journée de Myriam démarre par l’arrivée de deux messages sur son téléphone portable  : les directions des Mésanges et des Jardins ont accepté l’organisation d’une séance commune, à condition que tous les élèves portent des masques et respectent les précautions sanitaires en cas d’épidémie de grippe.

Parfait, se dit Myriam, une séance qui change de l’ordinaire, cela va faire du bien à tout le monde. Ce sera donc encore une séance adaptée avec plusieurs ateliers autonomes à disposition. Elle se demande juste comment la “cohabitation” entre les deux groupes va se dérouler, si la sauce va prendre. 

Alors Myriam prépare le matériel de la séance en ayant en tête les besoins et envies de chaque élève, âgé ou non, et surtout elle fait en sorte que les liens puissent se créer entre les élèves, que ce soit ludique.

A son arrivée aux Jardins, Myriam est accueillie par les trois enfants des Mésanges qui descendent du minibus pour la retrouver. Alya attend avec impatience que le chariot soit rempli et prêt à tirer. 

– Bonjour Myriam, dit Mahé en lui tendant la main. 

– Bonjour Monsieur, tu es bien sérieux aujourd’hui ! Tu vas bien ?

– Oui oui, je vais bien me comporter pour que les vieux soient contents de nous accueillir.

– Oui alors tu peux commencer par ne pas dire “les vieux”, par exemple !

– Ah oui, c’est vrai, pardon. Je dis comment du coup ?

– Les résidents et résidentes, les personnes âgées, les mamies et les papys par exemple, tu as le choix. Mais tu sais, le mieux, ça serait de leur demander comment tu peux les appeler. 

– Allez !! On y va !! s’impatiente Alya. 

– Ok suivez-moi, je connais la route, dit Sacha.

Alya le suit en tirant le chariot bleu vers l’entrée. Mahé pousse le chariot à l’arrière. Myriam et Géraldine les suivent, entrainées par leur enthousiasme.

A l’entrée, évidemment, Lorenzo est à son poste devant l’ascenseur. 

– Hé la jeunesse, vous vous êtes perdus?

– Bonjour Papy, dit Sacha en l’embrassant.

– Bonjour Monsieur, poursuit Mahé, à notre tour de venir faire de la poterie chez vous !

– Tu te souviens, tu peux m’appeler Lorenzo et ici, la règle c’est que tout le monde se tutoie. 

– Bonjour Lorenzo, merci de nous accueillir, dit Géraldine.

– Bienvenue à tous et toutes. Allez, serrez-vous, je monte aussi, mais je passe au premier étage chercher Odette d’abord. Ensuite, on vous rejoint à la salle d’animation. Virginie est déjà là-bas pour le cours d’abdo-fessiers anti-chute, vous pouvez y aller, c’est presque fini.

– Abdo-fessiers !!! Ma mère fait ça aussi, c’est chaud ! répond Mahé.

Deux étages plus haut, la petite troupe sort de l’ascenseur et se retrouve à l’entrée de la salle de l’animation où une dizaine de résident.e.s finissent de ranger le matériel de sport dans la remise.

– Bonjour les ami.e.s ! dit Virginie en sortant de la remise où elle dirigeait les opérations. Ravie de vous retrouver ! Merci de venir jusqu’à nous. Vous nous aidez à remettre les tables en place ? 

 – Bonjour Virginie ! Oui pas de souci, ça va aller vite. Pendant que j’installe les ateliers, est-ce que cela te va si les enfants s’installent dans les fauteuils du coin lecture?

– Oh tu rigoles Virginie, on va leur faire visiter la maison ! propose Lorenzo qui arrive avec Odette. Ça vous dit, les enfants ? 

Myriam installe, les enfants visitent et font connaissance avec Odette, puis Myriam rassemble tous ses élèves pour le début de la séance. 

– Alors Myriam qu’est-ce que tu nous as préparé ? demande Mahé, impatient de commencer.

– Aujourd’hui, c’est une séance particulière pour Odette et Lorenzo. Vous, les enfants, vous avez l’habitude, mais ce que je propose aujourd’hui, c’est quatre ateliers autonomes : barbotine, peinture, modelage libre et un jeu de construction. Je reste à côté pour vous guider si besoin, mais vous pouvez choisir ce qui vous tente, changer, faire des pauses, recommencer, expérimenter, jouer. Seuls ou ensemble, c’est vous qui voyez.

– Moi je veux faire de la peinture, dit Alya, en tirant Géraldine par la manche jusqu’à la table où les engobes sont installés, ainsi qu’une dizaine de petites maisons photophores que Myriam a préparé pour l’occasion.

– Papy, on se fait le jeu de construction? propose Sacha. Je connais le jeu, faut faire la plus grande tour avec les briques que Myriam a préparées ! 

– Oh c’est merveilleux, Myriam, de nous avoir préparé tout cela ! sourit Odette. Je ne sais quoi choisir.

– Moi je veux bien refaire un animal fantastique, tu viens avec moi Odette? propose Mahé.

– Ah oui, si tu veux. Mais dis-moi, qu’est-ce que c’est un animal fantastique?

– C’est un animal qui n’existe que dans les contes ou les légendes, comme les licornes, les centaures, les dragons… Moi c’est ma passion, je les connais tous. 

– C’est fascinant Mahé ! Alors très bien, allons-y, répond Odette heureuse face à l’entrain de Mahé. 

Mahé a l’habitude, il sort la terre du sachet, en donne une boule à Odette. 

– Alors d’abord, il faut chercher un modèle sur ton téléphone. Je veux faire un hippogriffe ! 

Odette s’exécute, sort son téléphone du casier de son déambulateur, puis fait la recherche.

– Voilà, j’ai trouvé, annonce-t-elle en montrant les résultats à Mahé.

– Génial, t’es trop forte ! Ma mamie, elle refuse de se servir d’un smartphone !

– Ah oui ? Moi je trouve ça très pratique. Bien moins lourd qu’un dictionnaire quand tu cherches quelque chose ! Mais c’est vrai que sans les cours de nouvelles technologies qu’on a ici, je serais perdue. 

– Vous avez des cours ? Oh l’arnaque !

– Mais non, au contraire, c’est super, il n’est jamais trop tard pour apprendre. 

– Alors, on commence? Tu fais la partie aigle et moi la partie cheval, d’accord? Et après on collera les deux parties ensemble.

Chapitre 11 – Vendredi 11 décembre 1953

Odette sort un morceau de terre et commence à modeler le corps du cheval. C’est simple, on part d’une boule et puis…

… Et puis elle se revoit avec son fils aîné, Joseph. On est en 1953, Odette a 25 ans. Joseph lui, a 4 ans. Il est assis à la table de la cuisine pendant qu’Odette sort les ingrédients du placard. Joseph trépigne d’impatience car il connaît la recette : un verre de sel fin, deux verres de farine et un verre d’eau. On mélange bien avec les mains, et même si c’est tentant, on ne se lèche pas les doigts ! 

– Maman, tu me fais un cheval ? Moi je fais le cowboy ! demande Joseph.

Odette s’exécute. Elle prélève une boule de la taille d’une balle de golf, la fait rouler dans ses mains jusqu’à avoir un boudin. Ce sera le corps du cheval. Elle roule maintenant 4 boudins identiques, qu’elle colle sur le corps avec un peu d’eau. Ce seront les jambes. Un autre boudin pour le cou, une boule aplatie pour la tête, et deux petites pointes pour les oreilles.

– Et la queue maman, n’oublie pas la queue !

– Ah oui c’est vrai, la voici. 

Joseph place son bonhomme sur le cheval, et le voilà parti pour une histoire imaginaire sans fin, comme dans les westerns dont il a vu les affiches du Pathé, rue de la République.

Odette peut souffler, elle va pouvoir préparer le repas pendant que Joseph joue un peu. Son mari, Loïc, va bientôt rentrer de l’usine qu’il dirige. Elle a une bonne nouvelle à lui annoncer, vivement son retour.

Dans la salle d’animation des Jardins de Saint-Amand, Mahé s’écrit soudain : 

– Mais Odette, on dirait un vrai cheval !

Myriam, surprise, se déplace jusqu’à Odette à Mahé. Ce qu’elle voit la trouble doublement. Le cheval est très réaliste : on distingue sa musculature au galop, et même les mouvements de sa crinière. L’autre chose qui surprend Myriam, c’est la larme qui coule sur la joue d’Odette.

– Odette, que se passe-t-il ? demande Myriam.

– Oh ne t’en fais pas, c’est juste un bon souvenir. C’est le jour où j’ai annoncé à mon mari que j’attendais notre fille. Je faisais un cheval en pâte à sel avec mon fils Joseph, un peu comme celui-ci. Ca m’est revenu d’un coup, comme un film.

– Alors c’est un souvenir heureux, Odette, dit Mahé, faut pas pleurer !

– Tu es gentil mon grand, c’est vrai. Allons, fais-voir ton aigle, comment on va s’y prendre pour les coller ? 

– Alors ça, c’est ma spécialité, il faut de la barbotine ! répond Mahé, fier de pouvoir partager ses astuces avec Odette.

Plus tard, l’animation terminée, Myriam rentre à l’atelier. Elle conduit, touchée par le souvenir d’Odette et encore plus impressionnée par ses capacités avec l’argile. Elle n’a pas juste fait quelques cours de poterie, c’est sûr. Ses mains ont touché l’argile bien plus souvent que cela. Myriam veut en savoir plus. 

Chapitre 12 – Jeudi 12 décembre 2024

Chapitre 12 – Jeudi 12 décembre 2024

Le jeudi, Myriam n’a que quelques heures devant elle avant que ses élèves n’arrivent pour le cours de l’après-midi. 

Elle commence donc par défourner les pièces de la veille, qu’elle vendra sur son prochain marché de Noël. Ce sont des oyas, des photophores et un petit pichet de la collection Ronde. Il y a aussi des pièces d’élèves qu’elle devra émailler et recuire. 

Elle enchaîne de suite avec l’émaillage de ses petites maisons. Une par une, elle les trempe dans le bain d’émail. Elle attend que l’émail transparent sèche, puis elle pose au pinceau des petits détails en émail bleu pour rappeler le reste de sa collection. Il ne lui reste qu’à retirer l’émail sous les maisons. 

Elle enchaîne avec l’émaillage des commandes : les oyas et les bols à entrées des commandes, ainsi que la plaque de numéro de maison. Elle a carte blanche sur les décors, donc elle reprend ses décors à l’émail bleu, coulures et taches. 

Elle enfourne tout ce petit monde dans un Tetris en trois dimensions. Les pièces émaillées ne doivent pas se toucher et elle doit rentabiliser la cuisson au maximum et optimiser la circulation de la chaleur dans le four. Elle ferme le couvercle du four, soulagée à l’idée que tout est prêt pour la cuisson du soir.

Il est temps maintenant de transformer l’atelier de production en atelier de cours. Myriam range, trie, lave, essuie, organise. son atelier est petit : dans ces 12 m2, chaque chose a sa place, mais cela n’empêche pas d’autres choses d’attendre leur place… 

Les quatre élèves de l’après-midi sont studieuses, affairées à décorer les pièces qu’elles souhaitent offrir à leurs proches à Noël. Myriam les guide, les encourage à tester de nouvelles techniques, les conseille sur les associations de couleurs. Le nouvel engobe doré fait fureur !

Alors que la chatte Grisette rentre se réchauffer auprès d’elles, le téléphone de Myriam sonne : c’est un message d’Odette : “Myriam, as-tu un marché ce week-end ? c’est au tour de mon fils Joseph de venir me voir, je me suis dit qu’on pourrait faire un petit tour sur un marché”

Le cours se termine, Myriam peut répondre à Odette. Elles pourront se voir au marché de samedi, dans le village de l’atelier. Myriam a hâte de rencontrer Joseph, et peut-être d’en apprendre plus sur le passé d’Odette. 

Myriam lance sa cuisson nocturne. Demain, des trésors émaillés sortiront du four. 

Chapitre 13 – Vendredi 13 décembre 2024

A son réveil, Myriam rejoint Victor et Lucile à la table du petit-déjeuner. Zoé dort encore, toujours malade. 

– Maman, tu vas voir les oiseaux aujourd’hui ? demande Lucile, qui aime demander le programme de la famille chaque matin.

– Non, ce n’est pas prévu, pourquoi ? 

– Mais si, tu sais, les enfants qui ne vont pas à l’école ? 

– Ah oui les Mésanges. Ils vont à l’école, juste pas la même que toi. Non, je n’y vais pas aujourd’hui, je les ai déjà vus cette semaine. 

– Ah oui avec les papis et les mamies. 

– C’est ça, tu as tout compris !

Myriam fait chauffer son lait, et comme après chaque cuisson nocturne, elle ouvre la porte qui sépare la cuisine de son atelier pour vérifier que tout s’est bien passé. L’affichage du four indique 453 degrés, il faudra encore plusieurs heures avant de pouvoir l’ouvrir. Ces heures de mystère, pendant la cuisson et le refroidissement, laissent imaginer tous les résultats possibles : émerveillement, déception, voire même stupeur, quand surviennent explosion ou fusion imprévues… Myriam a vécu tous ces résultats, et malgré l’expérience des réussites et le dur apprentissage de ses erreurs, elle a toujours ce même cocktail d’émotions au moment d’ouvrir le couvercle d’un four de pièces émaillées : entre hâte et appréhension, c’est l’aboutissement de longues heures de travail où tout se joue.

A neuf heures, Myriam démarre sa journée par du rangement. Les pièces des élèves de la veille vont soit dans une boîte hermétique pour attendre de nouvelles modifications, soit sur les étagères pour attendre des couleurs, soit au-dessus du four pour attendre une cuisson. 

Il est temps de réfléchir au stand du lendemain. A chaque marché, c’est une nouvelle mise en scène, de nouvelles dimensions, un nouveau public : cette fois-ci, Myriam joue à domicile, elle s’attend à croiser beaucoup de têtes connues. Elle a envie de faire plaisir à ses connaissances et à ses élèves, donc elle veut proposer la confection d’un photophore en forme de sapin sur une table équipée à cet effet : dans une caisse, elle rassemble donc planches, ébauchoirs, éponges et estèques, ainsi qu’un pain de faïence. Sur le stand, les enfants pourront mettre la main à la pâte et créer un photophore en forme de sapin.

Pour les aider, Myriam prépare un nouveau tuto : elle installe lumière et téléphone et filme les différentes étapes du façonnage du photophore. Son téléphone, installé sur un support en hauteur, filme ses mains qui enroulent des colombins d’argile autour du goulot d’une bouteille. Avec des gestes devenus automatiques au fil des années, Myriam fait ensuite des entailles avec une aiguille dans la terre pour marier les colombins entre eux. Elle lisse les entailles avec une estèque et une éponge. Chaque étape est indispensable pour que l’argile coopère et reste solide jusqu’à la cuisson. Le modelage a cette particularité d’être lent, ce qui peut être vu comme un avantage (on contrôle ce qui se passe) ou un inconvénient (le coût des pièces modelées augmente avec le temps de confection) par rapport au tournage. La partie artistique arrive avec la perforation des trous qui laisseront passer la lumière. Choisir les emplacements, imaginer les effets et émotions procurées par cet objet une fois chez ses propriétaires, c’est un moment de rêverie que Myriam apprécie particulièrement. Elle achève son modèle à l’aide de tampons en forme d’étoiles, de cœurs et des lettres NOEL en haut du sapin. Satisfaite du résultat, Myriam arrête la caméra de son téléphone et range son matériel. Après quelques heures de montage, le tuto sera disponible en vidéo sur le site de Myriam en version imprimée sur la table du stand.

Après une après-midi consacrée à sa fille malade et au montage de la vidéo, Myriam retourne à l’atelier : le four affiche désormais 65 degrés, assez froid pour pouvoir défourner. Elle débarrasse l’étage supérieur qui contient les pièces des commandes : bols, plaque et oyas vont pouvoir être livrés, c’est un soulagement. L’étage d’en dessous est rempli des nouvelles petites maisons photophores. Elles sont à croquer, elles dégagent vraiment une émotion particulière. Myriam les prend en photo pour en faire la promotion, les emballe puis finit de rassembler les caisses remplies de céramiques et de matériel. Demain, le marché commence tôt.

La suite arrive bientôt, la dernière ligne droite avant les vacances a eu raison de mes envies d’écrire. Je reprendrai pendant mes vacances. Passez de belles fêtes de fin d’année.